Philosophie n°163 : Dossier Canguilhem face à la psychologie

Ce numéro s’ouvre sur la traduction, par Anouk Barberousse et Alexis Bienvenu, de la préface de Heinrich Hertz à ses Principes de la mécanique, présentée par Guillaume Garreta. La spécificité de Hertz est d’avoir voulu formuler, au sein d’un traité de mécanique, une épistémologie de la description et un programme pour toute physique future. Si les révolutions einsteinienne et quantique en ont limité l’impact scientifique, sa portée philosophique reste considérable pour les questions de la signification et des conditions de validité des énoncés de la physique, du rapport entre nécessités physique et logique, ainsi qu’entre normes, modèles et image du monde.
Suit un dossier portant sur Canguilhem face à la psychologie.
Frédéric Fruteau de Laclos revient sur la psychologie des tendances et des besoins qui fut d’abord défendue par Canguilhem dans un Traité de psychologie non publié. Il rend compte de la façon dont Canguilhem s’en est détourné au profit d’une conception anti-psychologique de la pensée dans « Qu’est-ce que la psychologie ? ». Selon l’auteur cette posture, si elle est explicable sur le plan institutionnel, n’a aucun sens théorique, même d’un point de vue canguilhemien.
Pierre-Olivier Méthot et Camille Limoges reviennent sur l’histoire du Traité de psychologie, co-signé avec l’ami de Canguilhem Camille Planet. Ils s’attachent à certains écrits antérieurs au Traité, et examinent la portée de la dette de Canguilhem envers Planet. Leur étude remet en question la thèse, longtemps défendue, selon laquelle Canguilhem n’aurait cessé de condamner la psychologie.
Avant le Traité de psychologie, demeuré inédit, Canguilhem et Planet avaient publié un Traité de logique et de morale. Xavier Roth montre que Canguilhem y mobilise une psychologie normative en vue d’identifier les fonctions de l’esprit. Il importe de clarifier les rapports entre philosophie et psychologie, puisque la psychologie embrasse toutes les disciplines normatives qui, ensemble, composent la philosophie.
Samuel Talcott souligne pour sa part l’importance de la psychiatrie aux yeux de Canguilhem. Examinant sa défense de la nouvelle psychiatrie institutionnelle à l’occasion d’une conférence sur Pinel, il insiste sur son expérience à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban après la bataille du Mont Mouchet, essentielle pour comprendre sa relation ultérieure à Lagache et l’évolution de sa conception de la psychologie.
Clémentine Lessard, quant à elle, retrace le dialogue souterrain entre Canguilhem et Simondon sur l’avenir cybernétique de la psychologie. Elle estime que loin de se perdre avec la cybernétique dans une technologie au service du pouvoir, la psychologie apparaît dans l’oeuvre de Simondon comme une « technique pure », acquérant ses fondements et son axiomatique au contact d’un nouvel art situé au carrefour des diverses sciences.
Enfin, Jean-Yves Rochex s’intéresse aux rencontres manquées ou aux évitements réciproques entre Canguilhem et quelques psychologues français contemporains (notamment Meyerson et Wallon) qui partageaient largement la critique canguilhemienne de certains usages sociaux de la psychologie. Il juge que les convergences et différends auraient gagné à être explicités de leur vivant.