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Journée d'étude

Théorie musicale et historicité de la musique

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Journée d'étude jeunes chercheurs organisée par Sophie Comby et Zhaogu Wang


PROGRAMME

Samedi 9 avril 2022

10h —  M. Lecrivain : « Définir et écouter la mélodie bergsonienne » 

L’expérience fondamentale de la durée comme « mélodie de la vie intérieure » est une « donnée immédiate » chez Bergson requise pour connaître la nature de la durée comme « continuité d’hétérogénéité ». Reste que cette expérience n'est pas réductible à l'écoute commune d'une phrase musicale ou d'un air qui conduit un morceau. En effet, Bergson invite à une expérience « pure » déliée des considérations de la théorie musicale. En conséquence, comment entendre la « mélodie de la vie intérieure » chez Bergson ?  Notre intervention visera à déterminer la mélodie bergsonienne selon les deux sens de l’ « entente ». D'une part, comment définir la "mélodie" bergsonienne, si celle-ci ne coïncide pas avec un objet musical déterminé ? La mélodie serait en réalité moins un objet qu'une attitude d'écoute spécifique. D'autre part, comment susciter concrètement cette expérience ? Existe-t-il des musiques plus « bergsoniennes » qui seraient plus propices à susciter cette écoute spécifique par leurs qualités mélodiques ou duratives, comme on a pu l'entendre chez Debussy ?

10h45 — S. Comby : « Théorie et évolution de la pratique musicale : le cas de la tierce »

Les seizième et dix-septième siècles marquèrent l’avènement de traités théoriques portant sur la musique — nous songeons notamment aux Istitutioni harmoniche de Gioseffo Zarlino — qui attestèrent par là-même de l’admission de l’intervalle de tierce au rang des consonances. Notre objectif sera de montrer que la compréhension d’une telle décision requiert que nous examinions l’évolution de la pratique et de la composition musicales qui la précède. S’il convient en effet d’indexer ce changement de classification des consonances à un propos affectif, nous viserons aussi à fournir des éléments historiques susceptibles de rendre raison de cette évolution de l’affect musical. Partant des œuvres de John Dunstaple, il conviendra d’examiner l’influence que celles-ci exercèrent sur la composition musicale européenne du quinzième siècle. Tant des éléments textuels que relevant de l’histoire sociale seront invoqués pour rendre compte de la portée des œuvres du compositeur anglais.

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14h — Q. Gailhac : « L’a priori rhétorique de la perception musicale. Schèmes inconscients et formes d’historicité »

Dans la postface qu’il consacre à sa traduction française du maître-ouvrage de Panofsky, Architecture gothique et pensée scolastique (1951), Bourdieu écrit : « il faut observer d’abord que les schèmes qui organisent la pensée des hommes cultivés dans les sociétés dotées d’une institution scolaire (par exemple, les principes d’organisation du discours que les traités de rhétorique nommaient figures de mots et figures de pensée) remplissent sans doute la même fonction que les schèmes inconscients que l’ethnologue découvre, par l’analyse de créations telles que rites ou mythes, chez les individus des sociétés dépourvues de ces institutions » (Paris, Minuit, 1974, p. 151). L’intérêt qu’une sociologie peut porter à l’étude des formes dominantes de la pensée et de leur influence sur les productions spirituelles d’une époque n’est, en lui-même, qu’assez peu problématique. En rendant explicites les déterminations implicites de l’activité humaine historique, une telle démarche ne contribue pas seulement à découvrir le sens profond, et quelquefois recouvert, des œuvres et des discours, elle doit permettre aussi de rendre compte du fonctionnement intrinsèque de la positivité de leur perception. C’est toutefois ce dernier aspect qui mérite une reprise proprement philosophique, que nous mènerons à partir de la notion d’a priori perceptif. En interrogeant le rôle qu’a pu jouer la pratique hégémonique de la rhétorique sur la perception musicale à l’âge classique, notamment sous l’influence de la Musica Poetica (1606) de Burmeister, nous examinerons la pertinence et la fonction, sous l’horizon d’une phénoménologie de la perception musicale, des « schèmes inconscients » de la réceptivité esthétique, dont la variété nous conduira à distinguer différentes formes d’historicité.

14h45 — C. Malésieux : « De Ficin à Monteverdi : entre musique et philosophie, un héritage orphique »

Monteverdi nous amène à questionner la manière dont la philosophie alimente - voire fonde - la théorie et la pratique musicales. C’est précisément la revendication d’une certaine esthétique, tirée directement des Anciens (de Platon principalement, grâce à la traduction latine faite par Marsile Ficin) qui vient justifier chez Monteverdi cette nouvelle conception musicale, nommée « seconda prattica » : la musique est au service d’un texte, elle imite le discours. C’est au sein des académies italiennes, ces cercles d’humanistes, qu’apparaît un nouveau genre, l’opéra. Il nous a semblé judicieux d’opérer un rapprochement entre la figure d’Orphée, telle qu’elle apparaît dans L’Orfeo, un des premiers opéras de Monteverdi, et la version qu’en proposait Marsile Ficin, dans une perspective philosophique, esthétique et musicale qui viennent se nourrir mutuellement.

15h30 — Z. Wang : « Sur une esthétique de la musique atonale »

Au vingt-et-unième siècle, nous avons assisté à un changement soudain et important dans l’orientation et l’esthétique de la musique. Les compositeurs ont abandonné les règles de la tonalité en vigueur et se sont tournés vers des compositions atonales. Pourquoi l’esthétique musicale s’est-elle écartée des règles originales de l’harmonie ? De l’évolution de la réflexion sur le jugement esthétique ou sur le beau lui-même, à la reconfiguration de la relation entre l’esprit et la matière, la musique atonale remet en question les théories musicales et esthétiques traditionnelles. Nous verrons qu’il ne s’agit pas d’une rupture esthétique, en ce que ce changement s’explique à la lumière de nouvelles perspectives apportées par les discussions sur la perception, la sémiotique, la durée et la technique.