La réalité de la fiction (II)
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
UMR 8103 ISJPS
PhiCo-EXeCO
IRP CRNR
IUF
Séminaire de recherche 2022-2023 organisé par
Jocelyn Benoist (Paris 1, ISJPS, PhiCo-EXeCO, IUF)
une fois par mois le samedi de 10h30 à 12h30
Sorbonne, Escalier C, 1er étage, Salle Lalande (sauf indication contraire)
La philosophie aime chercher, du côté de la fiction, des suggestions de réponses à des questions ontologiques, ou en tout cas fait de la fiction un champ d'application privilégié de ses propres décisions ontologiques, que celles-ci prennent la voie de la libéralité ou au contraire de la parcimonie. En posant la question en termes directement ontologiques, elle néglige souvent de prendre le temps de considérer les modalités propres des discours fictionnels ou des dispositifs et procédés fictionnalisants en général. Le séminaire focalisera l'interrogation sur des expériences et des phénomènes fictionnels effectifs, selon différents sens possibles du mot « fiction ».
La discussion, qui nouera un dialogue entre littéraires et philosophes, tout en explorant de façon ouverte les sens de la « fiction », en littérature aussi bien qu'hors littérature, tournera en premier lieu autour de la question du ou des partages possibles entre ce qui relève ou non de la fiction, et de sa valeur et ses usages en tant que modalité discursive (ou extra-discursive ?) susceptible de construire, dans la réalité et avec des moyens réels, des rapports spécifiques à la réalité.
29 octobre 2022
André Charrak (Paris 1, PhiCo EXeCO)
Le format des fictions
Il est de fait que l’approche des fictions, en philosophie, a fixé ses critères au plan d’une analyse des unités linguistiques (phrases, propositions, énoncés). Le défaut manifeste de telles démarches est avant tout de n’atteindre qu’un tout petit nombre des fictions effectivement produites – et peut-être aucune, sinon par des allusions qui souvent ne valent qu’en fonction des compétences encyclopédiques du lecteur (celui-ci sachant que tel personnage mentionné dans la théorie est un personnage de roman, par exemple). L’analyse d’un corpus avéré, qu’on empruntera en l’occurrence aux textes philosophiques, nous a conduit à identifier le format caractéristique des fictions au plan des discours – au sens fort où ceux-ci ne sont pas réputés isomorphes aux unités élémentaires. Cette approche ne revendique pas une généralité sans reste et elle s’inscrit dans une typologie des fictions qui, en dernier lieu, permet de reprendre la question du rapport entre récit et philosophie.
26 novembre 2022
François Recanati (Collège de France) :
Fiction et simulation
Les personnages de fiction n’existent pas, mais cela n’empêche pas d’en parler ou d’y penser. Cela signifie-t-il qu’on peut faire référence à quelque chose qui n’existe pas ? Pas forcément : on peut maintenir que la référence implique l’existence, et rendre compte du discours fictionnel en soutenant que l’acte de référence y est tout autant fictif que l’entité qu’il vise. Le discours métafictionnel, cependant, se prête à un autre type d’analyse, également compatible avec l’idée que la référence implique l’existence. Selon cette analyse, les personnages de fiction ne sont pas seulement des entités fictives dont on fait comme si elles existaient : ce sont aussi, en tant que créations culturelles, des choses qui existent réellement, et auxquelles on peut légitimement faire référence.
17 décembre 2022
Carola Barbero (Université de Turin) :
Anatomie de la littérature
Comment tracer les frontières de la fiction ? Quelle est la différence entre le langage ordinaire et le langage littéraire ? Quel est le rôle de l'imagination ? À partir d'une anatomie des œuvres littéraires, on tentera de comprendre comment les dimensions sémantique, ontologique et esthétique se superposent et s'entremêlent dans la compréhension et l’appréciation.
28 janvier 2023 / séance annulée
Anne Teulade (Université Rennes 2) :
La fiction pour scénariser le réel, le réel pour modéliser la fiction : le cas Cervantès
25 février 2023 / séance annulée
Elise Domenach (ENS de Lyon) :
Écofictions cinématographiques : un paradigme Fukushima ?
25 mars 2023 - séance annulée
Layla Raïd (Université de Picardie Jules Verne) :
Fiction et grammaire
22 avril 2023
Pierre Fasula (PhiCo EXeCO) :
Les pratiques de la fiction
A côté d’approches classiques de la fiction en termes de vérité et de fausseté, ou encore d’actes de langage, on en trouve une autre, en partie d’inspiration wittgensteinienne, qui met l’accent sur les notions de pratique et de convention. C’est ce que développe par exemple le philosophe de la littérature Peter Lamarque, dans The Opacity of Narrative (2014). Selon lui, la pratique de fictions, aussi bien du côté de ceux qui les racontent que de ceux qui les lisent, est gouvernée par des conventions souvent implicites concernant les attentes, la compréhension, l’évaluation, etc. des fictions. Dans cette intervention, on s’interrogera sur les apports réels de cette approche : une fois que l’on a replacé les fictions sur le terrain des pratiques, que reste-t-il à dire ?
6 mai 2023 : salle Cavaillès
Anne Teulade (Université Rennes 2)
La fiction pour scénariser le réel, le réel pour modéliser la fiction : le cas Cervantès
Comment la fiction s’insère-t-elle dans la réalité ? Qu’apporte-t-elle en propre à la réalité ? Permet-t-elle de la vivre et de la penser autrement ? L’œuvre de Cervantès offre des pistes de réflexion originales sur ces questionnements.
À une époque où les pouvoirs de la fiction sont à la fois craints et questionnés, Cervantès négocie avec les codifications déréalisantes des fictions théâtrales et romanesques contemporaines pour proposer une ouverture de la fiction à la réalité qui ne repose pas sur un simple rapport de référentialité.
27 mai 2023
Lionel Naccache (Sorbonne Université / Hôpital de la Pitié-Salpêtrière)
Trois concepts relatifs aux neurosciences de nos fictions subjectives
L’exploration neuropsychologique de nos fictions subjectives permet d’élaborer plusieurs propositions théoriques relatives à la genèse et à la dynamique de ces contenus mentaux que nous définissons comme des matériaux interprétatifs associés à un certain degré de croyance subjective.
Après l’introduction du modèle théorique de l’espace de travail neuronal global conscient (GNWT) introduit dès 2001 (Dehaene & Naccache, Cognition 2001), j’aborderai les 3 idées suivantes :
(i) les influences réciproques entre entre cognition consciente et processus cognitifs non conscients dans l’élaboration de ces fictions subjectives, en introduisant notamment le principe d’influence de la posture consciente sur certains processus cognitifs non conscients ;
(ii) l’omniprésence de création de sens, à toutes les étapes du traitement cognitif en prenant certes pour modèle la perception (par simplicité expérimentale), mais en visant bien au-delà de la seule perception. Loin de se limiter aux étapes conscientes élaborées les plus proches de notre introspection, nous exposerons l’idée d’un « prequel » de nos fictions.
(ii) la nature cinématographique de notre vie subjective fictionnalisante qui à partir de « saisies » discrètes (au sens mathématique du terme), produit des fictions continues. Cette idée conduit à envisager le « flux de conscience » comme un série temporelle discrète plutôt que comme un processus continu (Le Cinéma intérieur, 2020 et Apologie de la discrétion, 2022).