
Qu’y a-t-il après la représentation ? (II)
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
UMR 8103 ISJPS
PhiCo-EXeCO
IRP RPRCT
IUF
Séminaire de recherche 2024-2025 organisé par Jocelyn Benoist (Paris 1, ISJPS, PhiCo-EXeCO, IUF)
une fois par mois le samedi de 10h30 à 12h30
Sorbonne, Escalier C, 1er étage, habituellement en Salle Lalande (sauf 1er février)
PROCHAINE SÉANCE : 29 mars 2025
Tristan Garcia (Beaux-Arts) :
Absenter ce qui est présent
En psychologie de la perception s’est développée une attention toute particulière pour notre capacité à percevoir ce qui n’est pas là, ce qui manque.
Or l’esthétique, la théorie des images et la philosophie de l’art s’intéressent depuis longtemps aux moyens de produire l’illusion que ce qui n’est pas là semble là (voir « comme si »), plutôt que de se demander comment un médium, une technique, un art font en sorte que ce que nous percevons se trouve pourtant absenté dans notre perception. Pourquoi et comment en arrive-t-on à nous faire voir un écran comme une partie plate, bidimensionnelle de l’espace, dont l’épaisseur et le verso nous semblent quasi inexistants?
Et si c’était l’occasion de reprendre à nouveaux frais la question de la définition d’un certain nombre d’arts et de techniques?
Et s’il était possible de repenser la représentation moins comme une présentation de ce qui est absent — au risque de toujours prêter le flanc aux critiques de la mimesis — que comme un ensemble de techniques d’absentement de ce qui est présent. Ne pourrait-on pas penser les techniques de l’image comme autant de moyens d’absenter pour la perception une dimension de l’espace (la troisième)? Mais aussi les techniques musicales comme des façons d’absenter la causalité matérielle reliant la source sonore à son effet, la technologie cinématographique comme une manière d’absenter la succession des images, la typographie comme un jeu sur les limites et les défauts de notre perception des formes régulières, etc.
29 mars 2025, 10h30-12h30, Sorbonne, salle Lalande :
Tristan Garcia (Beaux-Arts) :
Absenter ce qui est présent
En psychologie de la perception s’est développée une attention toute particulière pour notre capacité à percevoir ce qui n’est pas là, ce qui manque.
Or l’esthétique, la théorie des images et la philosophie de l’art s’intéressent depuis longtemps aux moyens de produire l’illusion que ce qui n’est pas là semble là (voir « comme si »), plutôt que de se demander comment un médium, une technique, un art font en sorte que ce que nous percevons se trouve pourtant absenté dans notre perception. Pourquoi et comment en arrive-t-on à nous faire voir un écran comme une partie plate, bidimensionnelle de l’espace, dont l’épaisseur et le verso nous semblent quasi inexistants?
Et si c’était l’occasion de reprendre à nouveaux frais la question de la définition d’un certain nombre d’arts et de techniques?
Et s’il était possible de repenser la représentation moins comme une présentation de ce qui est absent — au risque de toujours prêter le flanc aux critiques de la mimesis — que comme un ensemble de techniques d’absentement de ce qui est présent. Ne pourrait-on pas penser les techniques de l’image comme autant de moyens d’absenter pour la perception une dimension de l’espace (la troisième)? Mais aussi les techniques musicales comme des façons d’absenter la causalité matérielle reliant la source sonore à son effet, la technologie cinématographique comme une manière d’absenter la succession des images, la typographie comme un jeu sur les limites et les défauts de notre perception des formes régulières, etc.
Nous tâcherons d’explorer ensemble ces hypothèses.
Qu’y a-t-il après la représentation ? (II)
Selon une conception de l’esprit que nous héritons des Temps Modernes, notre rapport aux choses est essentiellement médiatisé par des représentations. Unités de compte du mental, celles-ci interviennent dans l’ensemble des opérations de la vie mentale et y jouent des rôles et y connaissent des destins divers, suivant le type d’expériences ou d’activités considérées. Cette conception de l’esprit s’appuie sur l’existence d’un certain nombre de dispositifs qu’on peut qualifier eux-mêmes de représentationnels, qui fonctionnent en extériorité, et dans une certaine analogie avec lesquels l’esprit est conçu, d’une façon qui est aussi censée en partie les expliquer.
Le XXe siècle a été le théâtre de remises en question massives de la pertinence de la notion de « représentation » dans l’analyse des opérations mentales. Simultanément, un intérêt renouvelé s’est manifesté pour l’existence, à côté des dispositifs représentationnels, d’autres formes d’encodage ou de mise en jeu du réel, que cela soit selon la prise en compte d’autres traditions que celle de ladite « modernité », ou de l’émergence, dans ou au-delà de cette modernité, d’autres pratiques ou formats d’expérience que ceux relevant de la « représentation ». On soulignera à cet égard, entre autres exemples, l’importance de la prise de conscience du fait qu’un échantillon ou un enregistrement ne sont pas des représentations. Sur l’arrière-plan de telles expériences et des techniques qui les informent, d’autres cadres théoriques pouvaient s’imposer, en ce qui concerne la mise en disponibilité et la jouissance et/ou la mise à distance du réel, que celui de la philosophie de la représentation.
Pourtant, aujourd’hui, la représentation, dit-on, est de retour. Elle est, en tout cas, partout. Tout d’abord, il est des secteurs entiers de la recherche qu’elle ne semble jamais avoir abandonnés, n’y ayant été que faiblement mise en question : ainsi, les sciences cognitives aujourd’hui parlent-elles assez largement, à quelques hérésies notables près, le langage de la représentation. S’agit-il d’une simple survivance ? Ou faut-il y voir la marque d’un renouveau de ce concept, au prix sans doute de nécessaires redéfinitions ? D’un autre côté, les dernières décennies sont marquées par un apparent retour du représentationalisme (qu’on ne confondra pas trop vite avec le figurativisme et encore moins vite avec le réalisme) dans les différents arts. Notre époque serait de nouveau, ou peut-être même pour la première fois vraiment, celle des représentations, voire des « représentations factuelles », comme le diagnostique Frédéric Pouillaude dans son livre sur les pratiques documentaires.
Ces caractérisations sont bien sûr unilatérales. On assiste plutôt aujourd’hui à la coexistence de pratiques et de paradigmes représentationnels et d’autres qui ne le sont pas. Cette coexistence appelle en premier lieu la réouverture d’un questionnement sur ce qui, respectivement, est et n'est pas représentation. Une image, par exemple, est-ce de toute évidence une représentation ? Tout dépend probablement du sens dans lequel il s’agit d’une image et de ce à quoi on fait servir celle-ci. Le séminaire s’interrogera donc, avec une ouverture ethnologique et historique, et en conjuguant divers discours disciplinaires, qui éclairent différemment ces termes, sur la diversité de formats d’appréhension du réel qui peuvent se cacher derrière les différentes façons de tracer une opposition ou une limite entre ce qui serait « représentation » et ce qui ne le serait pas. En second lieu, il se demandera quelles valeurs, renouvelées ou non, peut prendre la notion de représentation dans une configuration marquée par l’existence, et le rôle déterminant dans notre existence sociale, de dispositifs de formatage et éventuellement de génération du réel qui ne sont plus essentiellement représentationnels. Une telle configuration, jetant un jour nouveau sur la représentation en tant qu’elle désigne dès lors un formatage possible parmi d’autres de nos expériences, ne confère-t-elle pas à la représentation une réalité qu’elle n’avait pas tant qu’elle constituait l’élément par défaut dans lequel était supposée s’effectuer toute opération de l’esprit face au réel ?
PROGRAMME
28 septembre 2024 : Claude Imbert (ENS) :
Représenter est-il un anthropomorphisme récurrent ?
Notes pour une archéologie de l’information, heurs et malheurs
26 octobre 2024 : Carole Maigné (Université de Lausanne) :
To record and reveal : la caméra-réalité de Kracauer
30 novembre 2024 : Maud Pouradier (Université de Caen) :
Qu'est-ce que l'immersion ?
25 janvier 2025 : Jean-Marie Schaeffer (EHESS) :
De quelques difficultés de la notion de représentation appliquée aux arts
29 mars 2025 : Tristan Garcia (Beaux-Arts de Paris) :
Absenter ce qui est présent
26 avril 2025 : Claire Etchegaray (Paris Nanterre) :
La perception et le réalisme qui reste.
Une critique du réalisme direct à partir de Thomas Reid et James J. Gibson
31 mai 2025 : Claire Brunet (ENS Paris-Saclay) :
L’effacement, la grille et le réel : soustraire le centre et inquiéter la représentation