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Séminaire

Qu’y a-t-il après la représentation ? (II)

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
UMR 8103 ISJPS
PhiCo-EXeCO
IRP RPRCT
IUF
 

Séminaire de recherche 2024-2025 organisé par Jocelyn Benoist (Paris 1, ISJPS, PhiCo-EXeCO, IUF)

une fois par mois le samedi de 10h30 à 12h30

Sorbonne, Escalier C, 1er étage, habituellement en Salle Lalande (sauf 1er février)
 

PROCHAINE SÉANCE : 31 mai 2025, 10h30-12h30

Claire Brunet (ENS Paris-Saclay) : L’effacement, la grille et le réel :  soustraire le centre et inquiéter la représentation

Dans un texte intitulé « Guerre au centre », Peter Galison s’attache à montrer la réalité d’une contestation de la distribution du territoire depuis la guerre des bombes : Albert Speer, puis les Américains hantés par l’atome, refusèrent le dessin classique des plans centrés. Ils disséminèrent les lieux stratégiques. La perturbation théorique des postmodernes, dit-il, aurait donc été anticipée in concreto par une organisation enregistrant les risques infligés aux espaces par les armes industrielles inédites de l’aviation et de la bombe-A. Rappeler que designers et artistes furent embarqués côté Alliés pour lire les clichés aériens pendant le second conflit mondial, c’est donc insister sur une capacité à lire dans la grille – je dirais : à identifier autre chose, déjà, qu’un centre, à percevoir ce qui se dissimule dans le canevas.  L’histoire d’un design aux marges de la planification urbaine me permettra donc, au-delà de ces années de guerre, de montrer comment se frottent deux paradigmes : celui, dit moderniste, de la grille telle qu’elle organise la représentation (depuis la perspective à tout le moins) ; celui, de ce que le designer italien Andrea Branzi nomme une seconde modernité, qui la fictionnalise et l’étend à l’indéfini. Entre structure et utopie, que nous apprennent les consistances de la grille évoquée par Galison, — celle qui tente de résister à l’effacement du réel ?
 


Qu’y a-t-il après la représentation ? (II)

Selon une conception de l’esprit que nous héritons des Temps Modernes, notre rapport aux choses est essentiellement médiatisé par des représentations. Unités de compte du mental, celles-ci interviennent dans l’ensemble des opérations de la vie mentale et y jouent des rôles et y connaissent des destins divers, suivant le type d’expériences ou d’activités considérées. Cette conception de l’esprit s’appuie sur l’existence d’un certain nombre de dispositifs qu’on peut qualifier eux-mêmes de représentationnels, qui fonctionnent en extériorité, et dans une certaine analogie avec lesquels l’esprit est conçu, d’une façon qui est aussi censée en partie les expliquer.

Le XXe siècle a été le théâtre de remises en question massives de la pertinence de la notion de « représentation » dans l’analyse des opérations mentales. Simultanément, un intérêt renouvelé s’est manifesté pour l’existence, à côté des dispositifs représentationnels, d’autres formes d’encodage ou de mise en jeu du réel, que cela soit selon la prise en compte d’autres traditions que celle de ladite « modernité », ou de l’émergence, dans ou au-delà de cette modernité, d’autres pratiques ou formats d’expérience que ceux relevant de la « représentation ». On soulignera à cet égard, entre autres exemples, l’importance de la prise de conscience du fait qu’un échantillon ou un enregistrement ne sont pas des représentations. Sur l’arrière-plan de telles expériences et des techniques qui les informent, d’autres cadres théoriques pouvaient s’imposer, en ce qui concerne la mise en disponibilité et la jouissance et/ou la mise à distance du réel, que celui de la philosophie de la représentation.

Pourtant, aujourd’hui, la représentation, dit-on, est de retour. Elle est, en tout cas, partout. Tout d’abord, il est des secteurs entiers de la recherche qu’elle ne semble jamais avoir abandonnés, n’y ayant été que faiblement mise en question : ainsi, les sciences cognitives aujourd’hui parlent-elles assez largement, à quelques hérésies notables près, le langage de la représentation. S’agit-il d’une simple survivance ? Ou faut-il y voir la marque d’un renouveau de ce concept, au prix sans doute de nécessaires redéfinitions ? D’un autre côté, les dernières décennies sont marquées par un apparent retour du représentationalisme (qu’on ne confondra pas trop vite avec le figurativisme et encore moins vite avec le réalisme) dans les différents arts. Notre époque serait de nouveau, ou peut-être même pour la première fois vraiment, celle des représentations, voire des « représentations factuelles », comme le diagnostique Frédéric Pouillaude dans son livre sur les pratiques documentaires.

Ces caractérisations sont bien sûr unilatérales. On assiste plutôt aujourd’hui à la coexistence de pratiques et de paradigmes représentationnels et d’autres qui ne le sont pas. Cette coexistence appelle en premier lieu la réouverture d’un questionnement sur ce qui, respectivement, est et n'est pas représentation. Une image, par exemple, est-ce de toute évidence une représentation ? Tout dépend probablement du sens dans lequel il s’agit d’une image et de ce à quoi on fait servir celle-ci. Le séminaire s’interrogera donc, avec une ouverture ethnologique et historique, et en conjuguant divers discours disciplinaires, qui éclairent différemment ces termes, sur la diversité de formats d’appréhension du réel qui peuvent se cacher derrière les différentes façons de tracer une opposition ou une limite entre ce qui serait « représentation » et ce qui ne le serait pas. En second lieu, il se demandera quelles valeurs, renouvelées ou non, peut prendre la notion de représentation dans une configuration marquée par l’existence, et le rôle déterminant dans notre existence sociale, de dispositifs de formatage et éventuellement de génération du réel qui ne sont plus essentiellement représentationnels. Une telle configuration, jetant un jour nouveau sur la représentation en tant qu’elle désigne dès lors un formatage possible parmi d’autres de nos expériences, ne confère-t-elle pas à la représentation une réalité qu’elle n’avait pas tant qu’elle constituait l’élément par défaut dans lequel était supposée s’effectuer toute opération de l’esprit face au réel ?

 


PROGRAMME

28 septembre 2024 : Claude Imbert (ENS) :
Représenter est-il un anthropomorphisme récurrent ?
Notes pour une archéologie de l’information, heurs et malheurs

26 octobre 2024 : Carole Maigné (Université de Lausanne) :
To record and reveal : la caméra-réalité de Kracauer

30 novembre 2024 : Maud Pouradier (Université de Caen) :
Qu'est-ce que l'immersion ?

25 janvier 2025 : Jean-Marie Schaeffer (EHESS) :
De quelques difficultés de la notion de représentation appliquée aux arts

29 mars 2025 : Tristan Garcia (Beaux-Arts de Paris) :
Absenter ce qui est présent

26 avril 2025 : Claire Etchegaray (Paris Nanterre) :
La perception et le réalisme qui reste.
Une critique du réalisme direct à partir de Thomas Reid et James J. Gibson

31 mai 2025 : Claire Brunet (ENS Paris-Saclay) :
L’effacement, la grille et le réel : soustraire le centre et inquiéter la représentation