Philosophie et Psychanalyse
« Les maladies mentales : entre corps et esprit »
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (UMR8103)
Centre de philosophie contemporaine de la Sorbonne (PhiCo-EXeCO)
Organisé par Ronan de Calan et Mathieu Frèrejouan (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ISJPS, EXeCO)
Résumé :
La question de savoir si les maladies mentales relèvent du corps ou de l’esprit a longtemps structuré l’histoire de la psychiatrie en opposant, entre autres, psychologie et physiologie, psychogenèse et organogenèse, psychothérapie et psychopharmacologie. Si les débats autour de la nature des maladies mentales occupent aujourd’hui encore une place centrale, force est de constater que l’ancien dualisme du corps et de l’esprit semble avoir été supplanté par l’opposition entre dysfonction et déviance, faits scientifiques et valeurs sociales. Nous ferons le pari, cette année, que le problème des relations entre corps et esprit, loin d’être le résidu d’une tradition métaphysique à bout de souffle, continue de structurer de manière souterraine les débats contemporains sur la maladie mentale. Pour ce faire nous nous pencherons sur les contextes où ce dualisme resurgit, tels que les troubles psychosomatiques, l’usage thérapeutique des psychotropes, la psychopathologie de l’animal ou encore les relations entre psychiatrie et neurologie.
Le séminaire est ouvert à tou.te.s et il n’est pas nécessaire de s’inscrire pour y assister
PROGRAMME
mardi 15 novembre 2022 - Centre Broca - Salle A 701 - 7ème étage, bâtiment A
Ronan de Calan (Paris 1 / EXeCO), "Conversions et névroses d'organe. Le psychosomatique dans la tradition analytique"
mardi 6 décembre 2022 - Centre Broca - Salle A 701
Magali Molinié (université Paris 8 / Cornell University), "Compliquer le mind-body par une écologie des êtres : des molécules contre des frayeurs"chercheurs anglo-saxons liés au Réseau sur l’entente de voix).
mardi 31 janvier 2023 - La Sorbonne - G307 - la séance est annulée
David Dupuis (INSERM / IRIS-EHESS), "Le rituel psychédélique comme technique du soi : Reconfiguration de l'identité et recadrage narratif dans l'efficacité thérapeutique de l'ayahuasca"
Résumé : Bien que les substances dites " psychédéliques " ou "hallucinogènes" aient récemment connu un regain d'intérêt pour leurs propriétés thérapeutiques, les fondements de leur efficacité restent mal compris. A partir de données recueillies lors d'un travail de terrain ethnographique dans une clinique de l'Amazonie péruvienne, cet article propose une approche anthropologique de leur efficacité thérapeutique dans le traitement des addictions. En utilisant un cadre analytique enraciné dans l'interactionnisme, les approches narratives et la phénoménologie culturelle, je soutiens que les rituels psychédéliques peuvent être abordés comme des techniques de transformation du soi conduisant les participants à réinterpréter leur identité, leur biographie et leurs comportements quotidiens à la lumière d'un nouveau modèle culturel. Je montrerai à cette occasion que les états "dissociatifs" induits par les psychédéliques, généralement considérés comme des effets secondaires ou des réactions indésirables, sont en fait une force motrice dans la thérapie. Au-delà des modèles neuropharmacologiques et psychodynamiques, l'analyse proposée soulignera l'importance des processus relationnels, narratifs et "spirituels" comme mécanismes thérapeutiques clés des substances psychédéliques.
mardi 21 février 2023 - La Sorbonne - G307
Héloïse Athéa (IHPST / NPS), « Du patient à la paillasse : un usage cohérent du concept de maladie mentale ? »
Résumé :
L'idée que les maladies mentales sont des maladies du cerveau est largement partagée par les grandes institutions américaines (APA, NIMH, etc.), et constitue un postulat théorique crucial à de nombreuses approches nosologiques. Dans le même temps, cette affirmation est constamment remise en question par les scientifiques, les cliniciens et les philosophes, au sein de débats animés. Pour autant, toutes ces discussions n’ont pas encore permis d’aboutir à une description satisfaisante des liens entre maladies mentales et maladies du cerveau.
Face à ce constat, la philosophe Anneli Jefferson a récemment proposé la piste de réflexion suivante : les maladies mentales seraient des maladies du cerveau quand elles impliquent des dysfonctions cérébrales (Jefferson, 2022). Le problème est qu'en l’état actuel des connaissances scientifiques, distinguer une simple différence (ou anomalie) d’une véritable dysfonction neurale est difficile. Jefferson en a conscience, et a donc proposé des critères à partir desquels établir le caractère pathologique d’une anomalie cérébrale : une anomalie cérébrale serait une dysfonction lorsqu'elle réalise la perturbation de la vie mentale.
Nous nous demanderons si ces propositions peuvent s’appliquer en neurosciences fondamentales, un champ de recherche incontournable de la psychiatrie contemporaine. Dans le cadre de la modélisation animale en particulier, peut-on vraiment faire appel à quelque chose comme "la perturbation de la vie mentale" pour caractériser des dysfonctions cérébrales à l’origine de certaines maladies mentales ?
mardi 4 avril 2023 - salle D 38 - centre Censier (13 rue Santeuil, Paris 5ème)
Florence Burgat (ENS / Archives Husserl), « La vie psychique animale. A la croisée de la phénoménologie, de l’éthologie et de la psychanalyse »
Alors qu’une longue tradition, héritière de la philosophie de Descartes, persiste à priver les animaux d’une vie de conscience et à lire leurs comportements selon le schéma stimulus/réponse, des conceptions concurrentes, où se croisent la phénoménologie et l’éthologie (celle que l’on pourrait dire herméneutique), renouvellent la question de l’âme et du corps en montrant que « le comportement apprésente du psychique comme son indice » (Husserl). Cette vie psychique, dont Freud montre qu’elle ne se limite pas à la conscience, a été dégagée chez les animaux dits supérieurs par lui-même. Il affirme à leur propos l’existence d’un appareil psychique semblable à celui de l'homme. D’autres auteurs, dont Frederik Buytendijk, John Bowlby ou encore Henri Ey, qui théorise le concept de psychiatrie animale, nourrissent une réflexion qui bouleverse radicalement l’ontologie animale. Citons Bowlby : « « Nous savons maintenant que l’homme n’a le monopole ni du conflit ni du comportement pathologique. » (Attachement et perte, vol. 1, p. 24 tr. fr.).
mardi 11 avril 2023 - salle D 38 - centre Censier (13 rue Santeuil, Paris 5ème)
Denis Forest (Paris 1 / IHPST), « Peut-on ne pas être énactiviste ? Une lecture critique d'Enactive psychiatry de Sanneke de Haan »
Dans Enactive psychiatry (Cambridge, 2020), Sanneke de Haan soutient que le problème central de la psychiatrie est celui que posent à la fois l’hétérogénéité des facteurs explicatifs qui sont responsables de l’occurrence de la maladie mentale, et la multiplicité des dimensions (expérientielle, physiologique, relationnelle et existentielle), de la maladie mentale elle-même. Il soutient également qu’un modèle intégratif est nécessaire pour résoudre ce problème, et que l’énactivisme, pour lequel toute vie est construction de sens (sensemaking), offre le meilleur cadre disponible pour parvenir à une meilleure compréhension de la nature, des causes et du traitement des troubles psychiatriques. Sous sa forme classique, l’énactivisme propose une ontologie non-dualiste et relationnelle : celle-ci permet de concevoir l’expérience du sujet, sa physiologie et son environnement comme un unique système d’interactions. Sous sa forme enrichie, qui souligne la différence entre formes réflexives et non-réflexives du sensemaking, l’énactivisme fait des maladies mentales des troubles de la « construction existentielle du sens », où le champ des affordances offertes par l’environnement apparaît bouleversé.
Dans mon exposé, je m’interrogerai d’abord sur le problème dont l’énactivisme est censé être la solution : au vu des réflexions sur les variantes du pluralisme explicatif (Kendler, 2005; Kendler, 2012 ; Faucher et Goyer, 2016), on peut en effet se demander s’il est nécessaire en psychiatrie de se donner un modèle d’intégration comme celui que nous propose Sanneke de Haan. Ensuite, j’en viendrai à certains aspects, et limites, des propositions centrales du livre : contours flous de la catégorie des « troubles de la construction de sens existentielle » ; part finalement faible dans le livre, au vu du programme initial, de la dimension d’altération de l’expérience du corps dans les maladies mentales ; portrait à charge des neurosciences en psychiatrie. J’évoquerai en conclusion à quoi pourrait ressembler une proposition philosophique un peu plus prometteuse.