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Journée d'étude

Palinodies philosophiques. Pourquoi les philosophes changent-ils d’avis ?

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
ISJPS
IUF

Organisation : Benoît Berthelier (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Cristina Stoianovici (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) avec le soutien de l'Institut universitaire de France (IUF)

Comme le savent bien les historiens de la philosophie, un philosophe ne dit pas toujours la même chose d’un texte à l’autre: sa pensée évolue, emprunte de nouvelles pistes, quitte à revenir parfois à son point de départ. De l’évolution de leur pensée, les philosophes font parfois eux-mêmes le récit, au fil de préfaces, d’entretiens, de confessions ou même de véritables autobiographies intellectuelles. Un ensemble de cas mérite cependant une attention particulière: les cas de palinodie, où le philosophe reconnaît avoir changé d’avis ou d’attitude par rapport à ce qu’il avait soutenu antérieurement, que cet aveu soit franc ou plus ou moins dissimulé. La journée entend ainsi revenir sur différents cas de «palinodie», suffisamment fréquents dans l’histoire de la philosophie depuis la célèbre palinodie de Socrate dans le Phèdre de Platon, mais rarement considérés pour eux-mêmes.
L’enjeu est ainsi d’éclaircir la signification de la palinodie, à la fois comme geste philosophique et comme dispositif d’écriture singulier. Cela suppose en particulier d’interroger ses différentes modalités: le désaveu, la révision, la rétractation, le repentir, ou encore l’auto-critique. La palinodie a en effet une grammaire complexe, pouvant prendre plusieurs formes. Elle peut être plus ou moins discrète, et être plus ou moins chargée de sens philosophique. Un premier travail est donc de dégager les conditions auxquelles on peut véritablement parler de palinodie et quelle spécificité la palinodie revêt en philosophie. Pour cela, la journée entend déployer un panorama aussi large que possible sur les palinodies philosophiques, en revenant sur un ou des cas précis de palinodie, de Platon aux auteurs et autrices les plus contemporains.
Les enjeux fondamentaux de la journée touchent ainsi à l’écriture philosophique, à «l’éthique» du philosophe et plus généralement à son attitude vis-à-vis de la philosophie. La palinodie soulève en particulier la question centrale de savoir en quel sens on peut ou non avoir «plusieurs» philosophies: une «première», une «seconde» et même une «dernière» philosophie. La journée pourra ainsi accueillir des contributions diverses, suivant au moins trois axes :
 

  1. Les stratégies de la palinodie. On pourra ici s’interroger non seulement sur les fins servies par la palinodie, mais aussi sur les manières dont elle s’écrit, se présente, s’affiche, se met en scène ou au contraire se dissimule. Il y a bien sûr une dimension rhétorique et poétique de la palinodie – là encore le Phèdre est exemplaire –, mais la question est de savoir comment cette dimension s’articule à sa signification philosophique. La palinodie implique également un point de vue rétrospectif du philosophe sur sa propre production, ce qui met en jeu les paradoxes et les difficultés de l’illusion rétrospective: le philosophe peut avoir l’impression d’avoir à se rétracter, alors qu’il disait déjà hier ce qu’il dit aujourd’hui, ou au contraire avoir l’impression qu’il a toujours dit la même chose, alors que ce n’est pas exactement le cas. Plus largement, se pose aussi la question de la relecture de soi par soi, pouvant aller de l’auto-correction jusqu’à la révision et à la rétractation. Quelle place tient alors la relecture et le débat avec soi-même dans la dynamique de la pensée philosophique et comment ce débat avec soi s’articule à un débat avec d’autres, qui en constitue parfois le support ou le prétexte ?
     
  2. Les vertus de la palinodie. Ce second axe entend interroger le type de vertu intellectuelle et morale impliqué par le geste palinodique, en particulier l’honnêteté, la probité et l’humilité intellectuelles – qui peuvent également dans bien des cas n’être que des masques. On peut se demander à quelles conditions la palinodie atteste une forme de réelle responsabilité pour ce que l’on dit, et dans quels cas elle est au contraire le signe d’une incapacité à assumer une quelconque position, le symptôme d’une fuite en avant sans cohérence. Il s’agit ainsi de faire droit à la nature profondément morale du lexique palinodique, sans oublier non plus ses connotations religieuses, en particulier dans sa dimension d’aveu et de repentir. Chaque philosophe adopte une attitude particulière face à son oeuvre et se fait une certaine idée de ce à quoi il est «obligé» au sein du champ intellectuel, ce dont la palinodie témoigne à sa manière. La palinodie peut ainsi être considérée autant un enjeu éthique mais aussi politique, dans la mesure où l’exigence de critique et d’auto-critique peut avoir une signification pleinement politique en philosophie.
     
  3. Les philosophies de la palinodie. Ce troisième axe entend insister sur l’horizon métaphilosophique de la journée, en prenant la palinodie comme un lieu où se révèle l’image que le philosophe se fait de lui-même, de sa tâche et de son «itinéraire». Le topos de l’itinéraire ou du chemin philosophique mérite en effet d’être interrogé plus que tenu pour une évidence. La palinodie est par excellence le lieu où le philosophe parle de ce qu’il fait et a fait: la question est ainsi de savoir dans quels termes il apprécie sa propre évolution et ce à quoi il se trouve par là engagé. Suivant l’intuition séminale du Phèdre (243a-c), on peut en effet supposer que le geste palinodique met directement en jeu le rapport du philosophe à son désir et à l’expression qui lui convient.


PROGRAMME 
Mardi 10 juin 2025

APRÈS-MIDI
13h30-13h45 : accueil
13h45-14h00 : ouverture des deux journées
14h00-15h00 : Charlotte Murgier (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Le Phèdre et ses palinodies »
15h00-16h00 : Anne-Claire Lozier (Lille) : « De la conversion à la révision : changer d’avis chez Augustin »
16h00-16h15 : pause
16h15-17h15 : Sylvia Giocanti (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Scepticisme moderne et palinodie »
17h15-18h15 : André Charrak (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « De deux choses certainement fausses : une auto-critique cartésienne »

Mercredi 11 juin 2025
MATINÉE
9h00-10h00 : Cristina Stoianovici (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Penser contre soi-même, écrire en spirale. Sur la Critique de la Raison dialectique de Sartre »
10h00-11h00 : Théo Favre-Rochex (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Les Éléments d'autocritique d’Althusser: une palinodie ‘‘hypocrite’’ (J. Rancière) ?»
11h00-11h15 : pause
11h15-12h15 : Ostiane Lazrak (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « De Marx sans Thomas et Thomas sans Marx à un thomisme ‘‘informé par la lucidité du marxisme’’. Sur la quête d’Alasdair MacIntyre »

APRÈS-MIDI
14h30-15h30 : Emmanuel Salanskis (Strasbourg) : « Sur une autocritique de Foucault en tant que généalogiste nietzschéen »
15h30-16h30 : Benoît Berthelier (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Wittgenstein : combien de philosophies ? Auto-critique et vouloir dire »
16h30-16h45 : pause
16h45-17h45 : Pierre-Alban Gutkin-Guinfolleau (ICP) : « Palinodier pour susciter la palinodie : deux déterminations de l’éducation chrétienne chez Kierkegaard »
17h45-18h : Clôture des journées