Mondes hostiles et couplages à la technique
Programme
Mardi 22 mars 14h00-16h30 centre Panthéon, salle 216
Stéphane Rennesson et Annabel Vallard, co-éditeurs.trices scientifiques, présenteront "Abîmes, abysses, exo-mondes. Exploration en milieux-limites", Techniques & culture, n°75 (2021).
Le numéro est consacré à l’attrait viscéral des humains pour les mondes lointains, mystérieux et hostiles ainsi qu’aux techniques de confinement que cette fascination induit. À l’heure où se précise le scénario tant redouté d’une Terre peut-être bientôt invivable pour les humains, les seize contributions questionnent l’opportunité d’une course technologique au confinement, la possibilité de nous isoler de notre milieu ambiant ou au contraire d’y plonger à corps perdus. Entre technophobie et technophilie, entre survivalisme et transhumanisme, les explorations proposées dans ce numéro suggèrent chacune à leur façon en quoi les abîmes nous apprennent intensément à nous laisser habiter par le monde autant qu’à l’habiter.
Stéphane Rennesson est chargé de recherches au CNRS (Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative), et s’intéresse aux enjeux anthropologiques des dispositifs ludiques et rituels, notamment en Thaïlande. Il est l’auteur d’un livre sur la boxe thaïlandaise et de nombreux articles sur cette dernière ainsi que sur des jeux qui mettent en scène des collaborations insolites entre humains et animaux non humains (scarabées, poissons et oiseaux). Plus récemment son travail s’est tourné vers des rituels consacrés aux nagas, divinités ophidiennes gardiennes de la circulation des eaux, plus généralement vers les relations que nous entretenons avec la Terre comme entité géophysique, au monde minéral.
Annabel Vallard est anthropologue au CNRS (Centre Asie du Sud-Est) et s'intéresse aux relations sensibles que les humains entretiennent avec leurs milieux, via des techniques et des matériaux en contact étroit avec leur corps, en particulier le long de filières textiles et minérales.
Mardi 24 mai 14h00-16h30, centre Panthéon salle 419A
Thomas Leroux – "Les hygiénistes au chevet des travailleurs (France, XIXe siècle)"
Le mouvement hygiéniste a profondément influencé les politiques de santé publique en France. C’est dans ce cadre qu’ils interviennent de plus en plus, au cours du XIXe siècle, dans les espaces professionnels. Pourtant, loin de défendre des environnements manufacturiers sains et sécurisés, ils déploient majoritairement des politiques d’accompagnement au développement industriel, soit en minimisant les pathologies ouvrières, soit en demandant aux travailleurs de s’adapter aux nouvelles techniques. L’assainissement des ateliers et usines procède ainsi davantage d’un accommodement aux processus de production qu’une réelle protection. Dans cette perspective, ils déploient un arsenal de dispositifs techniques qui réduisent les accidents et pathologies mais dans le même temps contribuent à pérenniser longtemps des processus industriels mortifiées.
Thomas Le Roux est chargé de recherches au CNRS, directeur du Centre de Recherches Historiques (UMR 8558, CNRS-EHESS). Il travaille sur l’histoire environnementale et, plus précisément, sur l’histoire de l’impact de l’industrialisation sur l’environnement et les questions d’hygiène publique (pollutions, santé au travail, risques et accidents, etc.). Il est notamment l’auteur de : Le laboratoire des pollutions industrielles, Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011 ; avec François Jarrige de La Contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Le Seuil, 2017 (poche 2020) et avec Béatrice Delaurenti, de De la contagion, Paris, Vendémiaire, 2020.
Mardi 28 juin 14h00-16h30, centre Panthéon salle 419A - Attention séance annulée
Julie Patarin-Jossec : « Ethnographie “énactiveˮ de l’apesanteur »
Les entraînements d’astronautes ou de scaphandriers professionnels ont de nombreux points communs, à commencer par l’état de flottaison des corps et artefacts immergés dans l’apesanteur des milieux spatial ou aquatique. Cette similarité des milieux spatial et aquatique est d’ailleurs mise en lumière par les simulations de sorties dans l’espace que les astronautes réalisent en piscine ou en mer durant leur entraînement avant un vol, ainsi que par les corps d’« aquanautes » créés par certaines agences spatiales (dont la NASA) afin de préparer leurs futurs programmes de vols habités. Découle de cette apesanteur un processus de « docilité », au gré duquel les astronautes et scaphandriers apprennent à déconstruire un rapport au corps normé par la gravité terrestre, tout en faisant reposer leur survie sur des dispositifs techniques appelant un certain savoir-faire d’ingénierie (combinaison et scaphandre pour les astronautes ; a minima détendeur, narguilé ou scaphandre pour les plongeurs). Cette « fabrique » des corps rendus dociles à la technique et à l’autorité (par exemple médicale ou hiérarchique) est un processus « charnel » fait d’apprentissage sensoriel et de savoir-faire corporel, mais également moral (car marqué par l’intériorisation de normes sociales et de valeurs telles que la soumission à l’autorité, l’acceptation de la dépendance à autrui et à la technique, une certaine rationalisation du danger physique, l’endurance à la douleur, l’esprit de corps professionnel, etc.). Cette présentation sera particulièrement articulée autour de la démarche méthodologique, corporelle, affective et intellectuelle d’une ethnographie de l’entraînement à l’apesanteur. Proposant notamment une réflexion sur les modalités et limites d’une immersion dans les environnements de travail des astronautes et scaphandriers professionnels en tant que sociologue, l’intervenante reviendra sur le rôle spécifique de l’évolution des rapports au corps, à l’apprentissage technique et aux affects de l’ethnographe au gré de ses mises à l’épreuve corporelles pour mieux saisir l’heuristique de la démarche ethnographique – y compris au-delà de la production de savoirs proprement académiques.
Julie Patarin-Jossec est docteure en sociologie, post-doctorante Fondation Maison des Sciences de l’Homme, chercheuse associée au Centre Émile Durkheim (UMR 5116) et co-responsable de la revue universitaire Visual Studies (Taylor and Francis). En marge de contributions médiatiques et de projets visuels (films documentaires, séries photographiques), elle a enseigné la sociologie en France et en Russie et est à l’initiative de groupes de recherche internationaux en études visuelles, sociologie de l’espace et politique spatiale. Parmi ces dernières publications en date figure l’ouvrage La fabrique de l’astronaute : ethnographie terrestre de la Station spatiale internationale (Petra, 2021). Ancrée dans sa recherche ethnographique et « énactive » sur l’entraînement des astronautes professionnels d’une part, et sa pratique de la plongée sous-marine technique d’autre part, ses travaux en cours s’inscrivent dans une démarche comparative articulant expériences corporelles et rapport aux techniques des espaces extra-atmosphérique et sous-marin.