Histoire et Philosophie de la Psychiatrie
Séminaire organisé par Ronan de Calan (ISJPS), Denis Forest (IHPST) et Mathieu Frèrejouan (ISJPS)
Première séance : mercredi 29 janvier
Samuel Lézé (ENS de Lyon, UMR 5317-IHRIM) : "La formation des jugements cliniques dans la médecine aliéniste du XIXe siècle en France"
Résumé :
L’historiographie dominante de la médecine aliéniste française du XIXe siècle est en quête de significations philosophiques pour juger de l’émergence d’une nouvelle spécialité médicale : (i.) continuité ou discontinuité scientifique de la figure de Pinel, précurseur de la psychanalyse (ii.) effets révélateurs négatifs ou positifs de la Modernité, (iii.) influences ou transpositions stratégiques de la philosophie de l’époque.
Or, déterminer quelle est la signification philosophique de cette médecine suppose de formuler cette question épistémologique préalable : comment se forme une méthode clinique ? La réponse implique non seulement d’administrer la preuve d’une spécificité méthodologique au regard de l’histoire de la folie et de l’histoire de la psychiatrie, mais également de poser le problème de la division des sciences au XIXe siècle en France.
Je vais défendre la position suivante : la méthode clinique est spécifique aux médecins aliénistes, car elle se forme par la mise à l’épreuve de modèles des facultés de l’âme. Les modèles des facultés de l’âme sont des référentiels d’évaluation pathologique et thérapeutique des possibles déséquilibres de l’âme. En retour, le cas clinique est un référentiel d’évaluation des limites des modèles des facultés de l’âme.
Pour ce faire, je vais me focaliser sur le corpus des médecins aliénistes au-delà de Pinel afin de reconstituer les gestes d’une réception critique portant sur une série de doctrines philosophiques en tenant compte des trois dimensions du problème de la division des sciences. Dans cette perspective, la méthode de micro-analyse des réceptions poursuit le projet d’une épistémologie historique étudiant les cas de formation d’un savoir par transformation des concepts en ouvrant à une comparaison des transformations, plus particulièrement dans l’histoire des méthodes cliniques spécifiques à la psychiatrie française.
Argumentaire
De nombreux séminaires sont consacrés aujourd’hui aux problèmes liés à la santé mentale, et dans le monde anglo-saxon tout particulièrement, une « philosophie de la psychiatrie » s’est constituée depuis une trentaine d’années comme un domaine autonome. Dans ce contexte, le projet du présent séminaire part d’un double constat. D’une part, la philosophie de la psychiatrie telle qu’elle est communément conçue interroge exclusivement la psychiatrie contemporaine et elle est peu soucieuse de ses propres racines historiques ; tout indique pourtant que la connaissance de la genèse des cadres conceptuels et des catégories nosographiques peut s’avérer féconde pour la compréhension des problèmes de la psychiatrie d’aujourd’hui. D’autre part, si la recherche en histoire de la psychiatrie est aujourd’hui très dynamique, il n’existe guère d’inventaire systématique des rôles qu’ont pu jouer, et que peuvent encore jouer, des conceptions philosophiques de l’esprit dans la définition de diverses approches de l’objet et de la tâche de la psychiatrie, comme dans la critique de celle-ci.
Cette articulation entre philosophie, histoire et psychiatrie, sera explorée à partir d’une première séquence, qui se déroulera tout au long de l’année 2025, sur “les philosophies des psychiatres”. A la différence des philosophies de la psychiatrie, qui visent à étendre les analyses des philosophes à la psychiatrie et à ses objets, les philosophies des psychiatres correspondent aux différentes manières dont les psychiatres eux-mêmes ont mobilisé, de manière explicite ou implicite, des concepts ou des systèmes philosophiques. Si l’étude des sources philosophiques des écoles ou des traditions psychiatriques n’est pas nouvelle, celle-ci se réduit trop souvent à la question de savoir si les psychiatres ont correctement lu et compris les philosophes. C’est au contraire sur l’usage que font les psychiatres de la philosophie que se penchera le séminaire, en étudiant comment des concepts ou des systèmes philosophiques peuvent être mobilisés par les psychiatres en vue de fins qui leurs sont propres, comme l’élaboration des modèles explicatifs des maladies mentales, la fondation des pratiques thérapeutiques nouvelles ou la légitimation de réformes institutionnelles.
Programme
Mercredi 29 janvier 2025, 18h-20h (salle Cavaillès, Sorbonne)
Samuel Lézé (ENS, Lyon) : "La formation des jugements cliniques dans la médecine aliéniste du XIXe siècle en France"
Mercredi 19 février 2025, 18h-20h (salle Cavaillès, Sorbonne)
Mathieu Frèrejouan (univ. Paris 1/ISJPS) : "Spiritualisme et matérialisme dans la médecine aliéniste des années 1840 : le cas de l’hallucination"
Mercredi 12 mars 2025, 18h-20h (salle 216, Panthéon)
Ronan de Calan (univ. Paris 1/ISJPS) : "Dialectique hégélienne et psychiatrie. Wilhelm Griesinger et la victoire des Somatiker sur les Psychiker"
Mercredi 9 avril 2025, 18h-20h (salle 06, Panthéon)
Elodie Boissard (univ. Lyon 3 Jean Moulin) : "Le problème corps-esprit dans la neurasthénie : enjeux d'un débat entre aliénistes et neurologues français (1890-1910)"
Mercredi 30 avril 2025, 18h-20h (salle Cavaillès, Sorbonne)
Elisabetta Basso (univ. Pavie) : "La tradition phénoménologique en psychiatrie : révolution ou spéculation ?"
Mercredi 22 octobre 2025, 18h-20h
Eric J. Engstrom (univ. Berlin) : [titre à venir]
Mercredi 18 novembre 2025, 18h-20h
Denis Forest (univ. Paris 1/IHPST) : "Le naturalisme en psychiatrie. Variétés, usages, problèmes"
Mercredi 16 décembre 2025, 18h-20h
Steeves Demazeux (univ. Bordeaux) : "L’antipsychiatrie des années 1960 et 1970 : quel héritage aujourd’hui ?"