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Colloque

Aristotélisme et pensée juridique

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Gramata
IUF
Société pour l'histoire des Facultés de droit
IRJS

 

ARGUMENTAIRE


L’aristotélisme ne se résume pas évidemment pas à Aristote. Et si l’on adopte une définition un peu exigeante du terme « droit », les Grecs n’en ont ni le mot, ni même le concept, le Ius romain, et il leur manque peut-être aussi, et les deux sont liés, l’émergence d’un milieu de professionnels, les juristes. Pour autant, la réflexion développée par Aristote sur le juste et l’injuste, la loi, la cité, ainsi que ses œuvres de rhétorique et de logique, ont eu une influence matricielle sur la pensée juridique ultérieure. Il s’agit donc d’isoler le fil qui, dans la trame de la pensée juridique, relie la culture commune du droit à Aristote.

Plusieurs temps de contact tombent sous le sens, d’autres encore sont sans doute à mettre en évidence. Mais il faut distinguer quand les juristes reçoivent, parfois à leur insu, un héritage aristotélicien, et quand ils le revendiquent, au risque de l’inventer. Sans prétendre trop en amont dégager des lignes de force, on peut commencer par dresser la liste des moments où la réception des écrits et des conceptions d’Aristote dans la pensée du droit a eu un rôle structurant et durable.

  • La marque aristotélicienne sur le droit romain n’est pas toujours aisément lisible, la documentation léguée sous la forme de la compilation de Justinien ayant gommé les éléments de méthode. Elle est néanmoins perceptible dans la formalisation des opérations de définition, de classement et de logique, et dans l’éloquence et les règles du raisonnement de la jurisprudence classique.
  • La scolastique est évidemment marquée par la redécouverte d’Aristote. Au-delà des commentaires sur les passages en lien avec les conceptions du droit (Les politiques…), l’enjeu est de déterminer ce qui est proprement aristotélicien dans la radicale transformation de la réflexion sur le droit, à partir de la redécouverte de l’héritage romain, particulièrement quand l’école d’Orléans devient le lieu où sont saisis les nouveaux outils développés à Paris par les artiens, et où les débats théologiques se prolongent dans le droit qui prend peu à peu son autonomie intellectuelle, avec le retour en Italie marqué par le bartolisme. Dans le même temps, particulièrement en France dans l’entourage de Charles V, l’aristotélisme acquiert des lettres de noblesse dans les cercles laïcs.
  • Au sein de la scolastique, le thomisme et ses contestations (Jean Duns Scot, Guillaume d’Ockham et la montée du subjectivisme) forment un moment-clé de cette rencontre. Une analyse de la pensée arabe (notamment, mais non uniquement, celle d’Averroès) pourra mettre en évidence la manière dont la pensée juridique se construit en dialogue avec un aristotélisme cohérent.
  • La seconde scolastique, alors que l’humanisme juridique se construit souvent en s’éloignant de l’aristotélisme, tente de trouver la voie à une alternative tant au protestantisme qu’à l’absolutisme. Mais pour s’opposer à la force montante des États nationaux, elle est amenée à infléchir le droit naturel en droit des gens. L’idéal du régime mixte, revu par les monarchomaques, échoue politiquement (et militairement) et cède le pas à des déterminants plus construits à partir des néo-platoniciens et des néo-stoïciens.
  • L’école du droit de la nature et des gens, à partir du début du XVIIe siècle, et les théories du contrat social, marquent un nouvel retour à certaines conceptions aristotéliciennes, mais par le glissement de la nature de référence, de l’ordre objectif du monde à la nature propre à l’homme, elle marque une transformation du jusnaturalisme. Les exigences neuves de la rationalité cartésienne aboutissent à rejeter l’aristotélisme revendiqué dans le même passéisme que la scolastique.
  • La question d’un aristotélisme diffus doit cependant être posée, dont il s’agira d’évaluer ce qu’il a encore d’aristotélicien, dans l’arsenal culturel des juristes, en particulier à partir de Beccaria dans la référence au syllogisme judiciaire, ou dans l’habitude de procéder par définition et taxinomies.
  • Enfin, si le néo-thomisme du XIXe siècle porte une part d’aristotélisme, revendiqué ou impensé, qu’il s’agit aussi de déterminer et d’évaluer, y compris chez Maurice Hauriou et les tentants de l’institutionnalisme, on ne peut nier qu’elle est également affichée au XXe siècle chez des partisans, minoritaire mais audibles, du jusnaturalisme classique, comme par exemple Léo Strauss, Michel Villey, Alasdair MacIntyre, voire Chaïm Perelman.

L’enjeu du colloque tient aussi à la méthode pratique de l’interdisciplinarité, conçue comme complémentarité à la lumière de savoirs distincts. Cependant si les regards partent de positions scientifiques, qu’il s’agit de situer pour se comprendre, ils convergent sur les objets : en tracer le périmètre revient à poser la question des sources. Ce que l’aristotélisme fait au droit doit d’abord être cherché dans ce qu’en disent les philosophes quand ils traitent du droit, sous réserve de la définition de ce qu’il faut entendre par philosophe. Mais on doit aussi le trouver dans cette part du travail des juristes où ils cherchent à penser leur objet ou ses manifestations. La limite, certes incertaine, sera ici celle de la technique. Même s’il y a de la pensée juridique dans toute pratique du droit, un minimum de cette distance qu’instaure la montée en abstraction est nécessaire pour qu’on puisse aller y démêler ce qui peut être imputé à l’aristotélisme. Rien n’interdira non plus de chercher chez des auteurs qui ne sont tenus ni pour philosophes ni pour juristes des marques de cette pensée juridique d’obédience ou d’influence aristotélicienne, non plus que les spécialistes de disciplines voisines (historiens, littéraires…) ne seront écartés mais bien au contraire invités à venir partager et enrichir les questionnements.


PROGRAMME

5 octobre, 9 h 30
Sous la présidence de Violaine Sébillotte, professeur d’histoire grecque, vice-présidente en charge de la recherche

Accueil, par Christine Neau-Leduc, professeur de droit privé, présidente de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Conférence d’ouverture : Le naturel et le légal. Aristote et le « juste politique », par Pierre-Marie Morel, professeur de philosophie, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Penser le ius. Philosophie grecque, dispositifs aristotéliciens et juristes romains, par Aldo Schiavone, professeur émérite de droit romain, université “La Sapienza”

Cicéron pour ou contre Aristote ? Le cas du livre III de la République, par Stéphane Marchand, maître de conférences en philosophie, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

14 h 30
Sous la présidence de Jean-Baptiste Brenet, professeur de philosophie, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Aristotélisme arabe et droit musulman, par Ziad Bou Akl, chargé de recherche au CNRS, Centre Jean Pépin

Metron, justice et équilibre : la permanence de l’aristotélisme dans la pensée iranienne, par Soudabeh Marin, docteur en histoire du droit et en philosophie, université Paris Nanterre

Thomas d'Aquin, Aristote et les juristes : la réception thomasienne de la distinction aristotélicienne entre le juste naturel et le juste légal, par Don Jean-Rémi Lanavère, directeur adjoint de l’École Supérieure de Philosophie et de Théologie de la Communauté Saint-Martin

Jean Bodin et la causalité aristotélicienne, par Marine Bohar, doctorante en histoire du droit, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Aristote dans les Miroirs du prince à l’époque des guerres de religion, par Romain Dubos, docteur en histoire du droit, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

6 octobre, 9 h 30
Sous la présidence d’Anne Rousselet-Pimont, professeur d’histoire du droit, vice-présidente en charge des bibliothèques et de la science ouverte

In liberalibus jacere ? Le littéralisme comme obstacle à la dialectique chez les premiers glossateurs italiens du Corpus iuris civilis, par Pierre Thevenin, chargé de recherche au CNRS, Institut des sciences sociales du politique

Éléments aristotéliciens dans la description de l'institution familiale chez Grotius et Pufendorf, par Gabrielle Radica, professeur de philosophie, université de Lille

« Animal politique, animal social ou animal sociable ? ». Une formule d'Aristote à l'âge classique, par Pierre-François Moreau, professeur émérite de philosophie, École normale supérieure de Lyon

Dans quelle mesure la Raison des Lumières est-elle aristotélicienne ?, par Ulrike Muessig, professeur ordinaire de droit civil et d’histoire du droit allemand et européen, université de Passau

14 h 30
Sous la présidence d’Irène Rosier-Catach, directrice de recherche émérite au CNRS

Comment ne pas être aristotélicien ? La cité grecque antique au prisme d’Aristote, par Alain Duplouy, maître de conférences en archéologie, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Michel Villey lecteur d’Aristote, par Pierre-Yves Quiviger, professeur de philosophie, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur de l’UFR de philosophie

L’actualité du droit naturel d’Aristote, par François Chénedé, professeur de droit privé, université Jean Moulin Lyon 3

 

 


Affiche
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Prog.
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